CUREG 2.0

26. Je souhaite collecter le sexe ou le genre de mes participant-es, ou bien poser d’autres questions liées au sexe ou au genre. Quelles sont les recommandations de la CUREG ?

Demander à une personne quel est son sexe ou son genre n’est pas une question anodine. Cette interrogation soulève de nombreux enjeux éthiques, sociaux et identitaires. En effet, les notions de sexe et de genre ont donné lieu à des élaborations scientifiques qui ne recoupent pas systématiquement les représentations communes des sexes. Ce décalage entre terminologie scientifique, réalité vécue et attentes sociales crée des tensions. Par exemple, certaines personnes réagissent négativement lorsque des approches non binaires du sexe sont proposées, les percevant comme une remise en cause de repères traditionnels ou comme une forme d’idéologie. À l’inverse, des personnes se sentent invisibilisées, voire blessées, lorsqu’on leur impose une catégorisation binaire, fondée principalement sur des caractéristiques biologiques.

Dans ce contexte, les chercheurs et les chercheuses, notamment lorsqu’ils ou elles ne sont pas spécialistes de ces sujets, peuvent rencontrer des difficultés à formuler des questions liées au sexe ou au genre. Notre objectif est d’identifier des points d’attention et de fournir des pistes de formulations qui soient à la fois scientifiquement rigoureuses, adaptées aux questions de recherche, et qui minimisent les tensions potentielles qui pourraient se présenter. Notons que les risques éthiques ne se limitent pas aux participant-es. Par exemple, les chercheurs et les chercheuses peuvent être négativement impacté-es (controverse virale, tempête médiatique, etc.).

C’est dans ce cadre global que la CUREG a décidé d’engager une consultation sur les enjeux éthiques liés à la manière de collecter les informations relatives aux concepts de sexe ou de genre. L’objectif était de définir un certain nombre de recommandations aux chercheurs et aux chercheuses.

La consultation s’est faite auprès :

  • d’un groupe de travail composé d’expert-es du domaine du sexe et du genre et de chercheurs et chercheuses de l’Université de Genève, ainsi que d’une représentation des groupes socialement ou politiquement impliqués dans la question du genre à Genève
  • du département de l’instruction publique de l’état de Genève et du service de recherches dans les écoles
  • du dicastère Vivre-ensemble (commission égalité de l’UNIGE)
  • de l’assemblée plénière de la CUREG

Définitions

La distinction entre sexe et genre n’est pas systématique et il n’est pas rare de les voir utilisés de façon interchangeable dans le langage courant et administratif. Néanmoins, les recherches scientifiques ont montré que ces deux concepts sont distincts et nécessaires pour comprendre certains phénomènes sociaux qui ne s’expliquent pas par une conception purement biologique du sexe. Des définitions du sexe, du genre et concepts apparentés sont à disposition des personnes souhaitant se documenter sur le sujet. L’objectif de cette FAQ étant surtout d’aider les chercheurs et les chercheuses à travailler avec ces concepts sur le terrain, la CUREG a choisi de ne pas ajouter de définitions mais de renvoyer aux définitions existantes. Il est attendu que les principales définitions soient maîtrisées avant d’entreprendre tout travail de recherche. Le groupe de travail recommande de se référer aux travaux menés de façon indépendante par des expert-es du sujet, notamment (liste non-exhaustive) :

  • La prise de position de la commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine. Bien que ce texte traite principalement de la prise en considération de la diversité des identités de genre lors de l’enregistrement officiel du sexe, le document fournit un certain nombre de définitions. Ressource disponible ici :

https://www.nek-cne.admin.ch/inhalte/Themen/Stellungnahmen/fr/NEK-stellungnahme-Enregistrement_officiel_du_sexe.pdf

  • Sex and Gender Equity in Research: rationale for the SAGER guidelines and recommended use : cet article en open access ne porte pas principalement sur les concepts de sexe et de genre mais en propose des définitions. Ressource disponible ici :

https://link.springer.com/content/pdf/10.1186/s41073-016-0007-6.pdf

  • Examen approfondi de la mesure de l’identité de genre. Il s’agit d’un rapport de la Commission économique pour l’Europe (Conférence des statisticiens européens) qui expose les pratiques et les enjeux de la mesure de l’identité de genre. Une section recense des définitions. Ressource disponible ici :

https://unece.org/sites/default/files/datastore/fileadmin/DAM/stats/documents/ece/ces/2019/ECE_CES_2019_19-G1910227F.pdf

  • La gender toolbox: un travail mené par l’unité « Santé et genre » de Unisanté. Cet outil propose des indicateurs du sexe, et de nombreux concepts qui leur sont apparentés. Ressource disponible ici :

https://www.unisante.ch/sites/default/files/inline-files/The%20Gender%20Toolbox_2022-01-19_publiée%20janv%202023.pdf

Le tableau 1 recense les définitions des concepts de sexe et d’identité de genre proposées dans les documents cités ci-dessus. Généralement, le terme « sexe » renvoie à la présence de plusieurs éléments biologiques (y compris génétiques ou anatomiques), d’où l’usage fréquent de l’appellation « sexe biologique ».  En raison de sa difficulté à être mesuré directement, le sexe biologique est souvent approximé par le sexe assigné à la naissance, lui-même basé sur l’observation des organes génitaux externes chez le nouveau-né ou la nouvelle-née. Le sexe assigné à la naissance n’est pas un indicateur parfaitement fiable du sexe biologique, et la marge d’erreur potentielle doit être prise en considération.

La notion de genre renvoie à des éléments construits sur la base des différences de sexe, et liés à des déterminants sociaux et culturels. Dans le cadre d’un recueil du genre chez des participant-es, les chercheurs et les chercheuses peuvent s’intéresser à différentes dimensions du genre (identité de genre, expressions de genre, etc.). En l’état actuel de la science, il serait sans doute difficile de donner une liste consensuelle des catégories de genre. Il est néanmoins admis que la binarité H/F ne reflète pas correctement la diversité des genres dans la population.

Tableau 1 : principales définitions des notions de sexe et de genre, et indicateurs suggérés dans la gender toolbox

  Prise de position de la CNE Sex and Gender Equity in Research: rationale for the SAGER guidelines and recommended use Examen approfondi de la mesure de l’identité de genre Indicateurs proposés dans la gender toolbox 
identité de genre (le genre, lorsqu’il est recueilli au niveau individuel) « Le concept d’identité de genre fait référence à l’expérience intime et personnelle de son genre. » (p.8) « Le genre fait référence aux rôles, comportements et identités socialement construits des personnes de sexe féminin, masculin et des personnes de genre divers. » Notre trad. p.1) « Dans les ouvrages spécialisés, l’« identité de genre» (gender identity) est généralement définie comme le sentiment intime d’être une femme, un homme, ou pas tout à fait l’un ou l’autre, indépendamment du sexe assigné à la naissance. »(p.3) Femme, Homme,

Femme transgenre, Homme transgenre, Autre (agenre, genre fluide, non-binaire, en

questionnement/ pas sûr(e), etc.) – Si « Autre », merci de spécifier (champs libre)

Sexe « Le sexe biologique est déterminé sur la base de caractéristiques telles que les chromosomes sexuels, les organes sexuels primaires, les hormones sexuelles et les autres caractéristiques sexuelles qui en résultent ». (p.9) « Le sexe fait référence à un ensemble de caractéristiques biologiques chez les humains et les animaux, associées à des traits physiques et physiologiques, notamment les chromosomes, l’expression génétique, le fonctionnement hormonal et l’anatomie reproductive/sexuelle.» (Notre trad. p.1) N/A – Sexe assigné à la naissance* :  À quel sexe vous a-t-on assigné à la naissance, c’est-à-dire ce qui figure sur votre acte de naissance ? – Femme, Homme

– Caractéristiques sexuelles : idéalement à travers des mesures biomédicales des caractéristiques pertinentes liées au sexe. (Notre trad.)

* « Sexe inscrit sur votre acte de naissance » peut être une option moins sensible

** Dans sa prise de position, la commission nationale d’éthique préfère « divers » comme troisième possibilité. p.33

Recommandations

Les chercheurs et les chercheuses souhaitant travailler avec les concepts de sexe et de genre sur le terrain sont invité-es à prêter attention aux recommandations suivantes.

Recommandation 1

Si une question relative au sexe ou au genre est formulée, sa présence doit toujours être justifiée. Les raisons peuvent être d’ordre scientifique, liées à des normes de publications, ou à de potentiels risques de pertes d’informations pour les méta-analyses (par exemple ne pas disposer de cette information pourrait créer le risque de manquer de données pour observer des effets de discrimination), etc. Dans tous les cas, les chercheurs et les chercheuses sont invité-es à interroger leur pratique et celle de leur communauté, afin que la présence de ces questions repose sur des arguments forts et non pas sur une routine.

Recommandation 2

Les concepts liés au sexe ou au genre doivent être définis et utilisés à l’échelle où ils sont le plus pertinents pour comprendre, expliquer ou intervenir de manière rigoureuse sur le plan scientifique. En effet, il existe toute une terminologie associée à l’étude du sexe ou du genre, à commencer par les concepts de sexe et de genre eux-mêmes, mais aussi tous ceux qui leur sont liés, par exemple identité de genre, expression de genre, etc. Les chercheurs et les chercheuses doivent pouvoir identifier et définir clairement les informations qu’ils ou elles ont besoin de collecter.

Recommandation 3

La ou les questions posées pour collecter les concepts liés au sexe ou au genre doivent correspondre à la définition retenue dans la recherche (recommandation 2). Par exemple, du fait de la nature multidimensionnelle du concept de genre, poser la question « quel est votre genre ?» devrait être considéré comme trop imprécis pour recueillir l’identité de genre (cf. l’exemple de définition d’identité de genre dans le tableau 1). Les formulations mélangées telles que « Quel est votre sexe/genre » sont à éviter. La formulation « Sexe assigné à la naissance », bien que jugée comme scientifiquement la plus objective, génère régulièrement des réactions négatives. La formulation « Sexe inscrit sur votre acte de naissance » peut représenter une alternative acceptable, si elle est adaptée à la population interrogée (cf. tableau 1).

Recommandation 4

Le fait qu’un concept soit validé par la science n’autorise pas les chercheurs et les chercheuses à l’utiliser sans précautions auprès des participant-es à leurs études. Les chercheurs et les chercheuses doivent respecter les valeurs ou opinions de leur participant-es. Ils ou elles sont donc invité-es à anticiper ces réactions négatives, d’une part en tenant compte des sensibilités de leurs participant-es, et, d’autre part, en fournissant des explications sur leur approche du sexe ou du genre. Dans l’idéal, s’il y a potentiellement un risque auprès de la population cible de l’étude, celui-ci devrait être évoqué et justifié dans le formulaire de consentement.

La collecte du sexe ou du genre peut être particulièrement problématique auprès de certaines populations pour des raisons de vulnérabilité. Il s’agit principalement des populations discriminées en raison de leur genre, et des enfants. En ce qui concerne les populations discriminées, il est recommandé de consulter des membres de la population ciblée afin de discuter du matériel de l’étude dès sa construction. En ce qui concerne les enfants, certains parents expriment leur inquiétude au sujet des effets que certaines formulations pourraient avoir sur le développement psychologique et social de leurs enfants. Il n’y a pas de consensus scientifique sur ce point. Les concepts liés au sexe ou au genre peuvent être recueillis chez les enfants, mais en prenant en compte les différents stades de développement et de préférence en questionnant les parents ou en utilisant des observations indirectes, tout en évaluant le risque de mégenrer l’enfant. Par exemple le sexe enregistré à l’état civil peut être approximé à partir de l’observation de l’expression de genre de l’enfant, si la marge d’erreur est acceptable. Si une formulation potentiellement problématique doit être utilisée auprès d’enfants, le gain scientifique doit être important. Dans ce cas, l’accord parental est normalement requis.

Ressources.

  • En cas de doutes sur la manière d’interroger les participant-es, contactez la CUREG : ethique@unige-ch
  • Un certain nombre d’associations ou d’institutions suggèrent des méthodes pour recueillir le sexe ou le genre en plusieurs étapes :

The williams institute : https://williamsinstitute.law.ucla.edu/quick-facts/survey-measures/

Nations unies – Conseil économique pour l’Europe : https://unece.org/sites/default/files/datastore/fileadmin/DAM/stats/documents/ece/ces/2019/ECE_CES_2019_19-G1910227F.pdf

  • Des propositions de mesures continues du sexe et du genre existent. Par exemple :

https://www.samkillermann.com/work/genderbread-person/

https://www.researchgate.net/profile/Sylvan-Berrut/publication/341115047_CHAPITRE_25_Soins_de_qualite_pour_les_personnes_lesbiennes_gays_bisexuelles_et_transgenres/links/670415fab753fa724d64784f/CHAPITRE-25-Soins-de-qualite-pour-les-personnes-lesbiennes-gays-bisexuelles-et-transgenres.pdf