CUREG 2.0

18. Usage du terme “race” en recherche : questions éthiques

Le concept de “race” a une longue histoire et a été utilisé dans de nombreux contextes différents. Bien que son usage ait varié d’une époque à l’autre, il a toujours été lié à une volonté de construire et imposer des différences prétendument biologiques et/ou culturelles entre les groupes humains, et son développement dans le contexte scientifique du 19e siècle est indissociable d’une volonté de domination, de contrôle et de pouvoir, notamment en contexte colonial. Dans la seconde partie du 20ème siècle, ce concept a été remis en question à la fois sur le plan scientifique et sur le plan éthique. Les progrès de l’anthropologie et de la génétique ont montré que les différences génétiques entre les populations humaines étaient minimes, que leurs variations phénotypiques étaient continues et conditionnées par les environnements, et que les classifications raciales étaient de ce fait arbitraires et sans fondement biologique rationnel. Par ailleurs, des recherches en sciences humaines et sociales ont montré que les distinctions raciales sont socialement construites sur la base d’identités culturelles et historiques, et que les catégories changent en fonction du contexte. Aujourd’hui, le terme “race” est néanmoins encore utilisé dans le langage commun pour désigner des groupes humains sur la base de critères biologiques et/ou socio-culturels flous, ce qui accentue des stratifications sociales et engendre des discriminations. Dans ce contexte, quelles sont les recommandations éthiques liées à l’usage du concept de « race » dans une recherche scientifique ?

Dans certains pays, comme les USA, le Canada ou la Grande Bretagne, le terme « race » fait partie du langage courant et, même si le concept est contesté (1, 2), il est utilisé dans des cadres légaux (recensement, etc.). Dans d’autres pays, comme la Suisse ou la France, son usage est généralement évité au nom des valeurs d’universalisme et d’égalité (35). Ces restrictions d’usage font aussi polémique, dans la mesure où elles sont accusées d’empêcher la mise en évidence de faits sociaux comme la discrimination à l’embauche, ou le contrôle au faciès (6). Les chercheurs et les chercheuses peuvent donc parfois se retrouver en tension entre l’incongruité du concept de race d’un point de vue biologique, et l’évidence de sa réalité dans le monde social (7).

Ainsi, même s’il est admis que la notion de race n’a pas de sens d’un point de vue biologique, elle peut être pertinente dans le cadre de recherches qui visent, par exemple, à examiner comment des différences phénotypiques perceptibles peuvent être associées à une hiérarchisation sociale ou à des rapports interpersonnels particuliers (8).

Cependant, étant donné le sens controversé que véhicule ce mot et son caractère sensible, la CUREG examinera avec attention les justifications proposées par les chercheurs ou les chercheuses qui l’utilisent. À la suite d’une consultation d’expertes et des membres de la commission plénière de la CUREG, des préconisations ont été définies. Les projets seront examinés dans ce cadre.

  • Le terme « race » ne peut être utilisé que dans un contexte où son usage est clairement justifié, par exemple lorsqu’il s’agit de mesurer le niveau d’adhésion à des thèses racistes, ou lorsque les acteurs et les actrices concerné-es s’approprient le concept dans des revendications contre toute forme de discrimination raciale.

Mais la plupart du temps, Il est conseillé de ne pas utiliser ce terme. Cela vaut pour le matériel et pour les textes associés (titre de la recherche, résumé, description du protocole, etc.).

  • Il est également recommandé de ne pas utiliser de dénominations ou de catégorisations suggérant l’existence d’une typologie raciale ou renvoyant une vision réductrice de la diversité biologique et/ou culturelle humaine, qui posent les mêmes problèmes éthiques que le mot « race » ; par exemple « caucasien », « noir », « phénotype asiatique », etc.
  • L’usage de termes ou expressions comme « ethnie », « appartenance ethnique », « origine », « ethnie, ethnicité et autres circonstances particulières », « origine ethnique », « origine ethnique, sociale et territoriale », « ancestralité », etc., est souvent proposé comme alternatives éthiquement correctes. Mais ces appellations ambiguës ou mal définies doivent être utilisées avec précaution et toujours en justifiant leur usage dans le cadre de la demande d’évaluation éthique.
  • Lorsqu’une variable liée à l’apparence physique des participant-es est mesurée, les chercheurs et les chercheuses doivent justifier la nécessité scientifique du recueil de cette donnée. Il est recommandé de mettre la priorité sur des termes spécifiques plutôt que collectifs, et de choisir des descripteurs de même nature pour tous les individus. Par exemple, pour étudier l’effet de la « race » sur le contrôle au faciès, il est préférable de recueillir une donnée comme la couleur de peau, si possible à l’aide d’une mesure qui laisse libre cours à toute la diversité de cette caractéristique (par exemple, les palettes continues de teintes de peau existant dans le commerce).
  • La mesure de l’auto-identification d’une personne à une « race » doit être évitée et, si nécessaire, remplacée par des critères d’auto-identification choisis avec beaucoup de précautions. Il n’est pas rare de lire des questions comme « quelle est votre race/ethnicité : Caucasien, etc. ». Une formulation neutre (ex : « je me décrirais comme… ») proposant une réponse ouverte est recommandée. Si des réponses fermées à choix multiples doivent être soumises, l’option « aucune des réponses ne me décrit » doit être obligatoirement présente.

 

Références

  1. J. Nicol, B. Osazuwa, Les mots pour parler de race et d’ethnicité : une terminologie en évolution. Notes de la Colline, (available at https://notesdelacolline.ca/2022/01/31/les-mots-pour-parler-de-race-et-dethnicite-une-terminologie-en-evolution/).
  2. Committee on the Use of Race, Ethnicity, and Ancestry as Population Descriptors in Genomics Research, Board on Health Sciences Policy, Committee on Population, Health and Medicine Division, Division of Behavioral and Social Sciences and Education, National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine, Using Population Descriptors in Genetics and Genomics Research: A New Framework for an Evolving Field (National Academies Press, Washington, D.C., 2023; https://www.nap.edu/catalog/26902).
  3. P. Mahon, La notion de « race » dans le droit suisse : à jeter aux oubliettes ? TANGRAM 44 (2020), (available at https://www.ekr.admin.ch/f585.html).
  4. M. Merenda, La définition de la race par les autorités judiciaires suisses. TANGRAM 44 (2020), (available at https://www.ekr.admin.ch/publications/f587.html).
  5. C. Gombault, G. Grenet, L. Segurel, L. Duret, F. Gueyffier, P. Cathébras, D. Pontier, S. Mainbourg, A. Sanchez‐Mazas, J. Lega, Population designations in biomedical research: Limitations and perspectives. HLA. 101, 3–15 (2023).
  6. R. Gremaud, Les discriminations raciales ne sont pas chiffrées en Suisse. ma RTS (2020), (available at https://www.rts.ch/info/suisse/11397852-les-discriminations-raciales-ne-sont-pas-chiffrees-en-suisse.html).
  7. J. L. Martin, K.-T. Yeung, The Use of the Conceptual Category of Race in American Sociology, 1937–99. Sociological Forum. 18, 521–543 (2003).
  8. C. L. Ford, N. T. Harawa, A new conceptualization of ethnicity for social epidemiologic and health equity research. Social Science & Medicine. 71, 251–258 (2010).